Tel le hérisson, du porte-plume je sais qu’une seule chose a pour moi la plus haute importance, c’est la plume.
J’ai intitulé ce sujet « Ma meilleure plume (ex æquo) » parce que celle sur laquelle je vais m’étendre ici a, non pas une rivale, vu qu’elles sont très différentes, mais une compagne « de harem ». Comparaison osée, peut-être, dont il me semble qu’un autre membre du forum l’a déjà utilisée, mais je ne vois pas comment qualifier autrement la petite troupe de stylos que je possède vu que je ne suis pas collectionneur et que ce n’est pas vraiment une collection. Je parle de « La meilleure » et non pas de « La plus belle » parce que je me contrefous de la beauté de la plume.
Quoi de plus laid qu’un saxophone, bric-à-brac de tuyaux et de touches relevant plus de la plomberie que de l’instrument, et pourtant, lorsque Getz ou Coltrane en jouent….
Que voulez-vous, j’ai toujours privilégié l’être au paraître…
Ceci dit, en plus, elle est belle, la fille. Fuselée, féminine, racée, hors du commun, comme projetée dans la prolongation du corps du stylo et insérée dans le carénage, légèrement biaisée à son extrémité, elle personnalise exactement et sobrement le job : poser efficacement et agréablement sur le papier l’encre contenue dans le convertisseur ou la cartouche et puis c’est tout. C’est tout ? Oh, que non, ce n’est pas tout. Nous y viendrons.
Elle m’a séduit dès les premières lignes. Mes deux Japonaises m’ont tiré la gueule. Raides et sobres, noir et or, elles ont arboré une tronche aussi sinistre que le général Omezu signant la capitulation du Japon sur le SS « Missouri » le 2 septembre 1945.
Pourtant l’une des deux garde largement mes faveurs. La très juteuse « Music » de mon Sapporo (ex æquo), j’en ai déjà parlé abondamment ailleurs sur ce forum. L’autre, la « Music » de mon Platinum, malgré les propos dithyrambiques de dcx62 quant à la sienne, me laisse perplexe et momentanément sur ma faim. Pour lui donner une leçon, je l’ai mise à tremper 24 h dans de l’eau et du vinaigre. Ne hurlez pas au tortionnaire, c’est un conseil de PDZ, prenez-vous en à lui !
Mais les amis, je suis là pour délirer sur ma toute nouvelle acquisition : la plume de mon Sheaffer Crest L.O. (Left oblique il paraît que ça veut dire) minutieusement ouvragée par un certain Monsieur Binder. Je débite mon boniment d’abord, vous vous rincerez l’œil sur ma belle plus bas.
Pour moi le stylo est avant tout un outil de travail. Je sais, je l’ai déjà dit. D’une part le stylo, de l’autre, l’écriture. La vôtre, la mienne, chacun s’en est façonné une au fil du temps et qui reflète, paraît-il, notre personnalité. Vous verrez la mienne sur les photos - il me semblait quand même que d’une plume, il fallait montrer l’œuvre – n’en tirez aucune conclusion, j’ai toute ma santé mentale, merci.
La plume se plie à l’écriture, bon gré, mal gré et pour ceux dont l’écriture est le métier, la plume est un allié précieux.
Celle-ci, associée à mes doigts depuis peu, s’est immédiatement mise à mon service sans rechigner, en bonne fille désireuse de me plaire. Montrant immédiatement ce qu’elle savait faire, douce, soyeuse, leste, courant comme une gazelle sur le papier avec élégance, traçant pleins et déliés en dépit de l’écriture brouillonne de son nouveau propriétaire.
Mais son ancien maître m’avait caché le vice de la belle, raison pour laquelle je subodore qu’il s’en est séparé pour un prix aussi modique et sans marchander ! Cette plume était bavarde ! Aussi bavarde que btr dans un bon jour !
Tous ceux qui utilisent leur porte-plume pour écrire savent que ce faisant, ils ne regardent pas leur plume en se disant, « Mon Dieu que ma plume est belle, qu’elle est magnifique ! », tel ce pianiste russe au physique de culturiste, qui se produisait en tee-shirt et qui admirait ses biceps tout en jouant du Liszt, non, lorsque vous écrivez, vous regardez les mots, les phrases, votre syntaxe, vous veillez à ne pas faire de fautes, à être lisible sinon pour un tiers, au moins pour vous-même.
J’écrivais donc, plongé dans une béatitude sans nom, quand soudain, voilà qu’elle prend la parole et se met à me vendre sa marchandise, me faisant déraper au travers de mon texte !
- Tu vois, me dit-elle, avec moi, ton écriture est plus présentable, presque supportable à la vue, et puis ne suis-je pas câline dans ta main ? Est-ce que mon petit côté de travers ne te permet pas des fantaisies ? Est-ce que ma féminité ne flatte pas le mâle que tu es ? Parce que je sais, moi ta plume, que ce forum est surtout le royaume des mâles, et que sur certains sujets qui importunent par trop la fierté virile on se montre tatillon ? Comme sur « Les femmes et les stylos ». Qu’en penserait ce bon docteur Freud ?
D’abord surpris, je réagis vivement. Ce n’est pas à une plume de faire la leçon à celui qui la tient !
- Tais-toi, lui dis-je, d’abord tu es hors sujet puisque tu es dans une main masculine, ensuite ce ne sont pas tes oignons !
Mais la belle continua à jacter.
- Et quelle que soit l’encre que tu utilises, ma fente ne s’écarte t’elle pas agréablement pour déposer sur le papier un débit mouillé comme tu l’aimes pour soutenir le rythme et la vitesse à laquelle tu traces tes lettres ? Est-ce que ton chaos ne prend pas des allures de précieux manuscrit médiéval, du moins en apparence ? Est-ce que la souplesse, l’élégance de mes jambes ne te rappellent pas ces plumes que tu utilisais jadis sur les bancs de l’école, de celles que tu trempais dans l’encrier, noircissant l’extrémité de tes doigts d’enfant ? N’éprouves-tu pas là exactement ce plaisir ? Ne suis-je pas vivante ? Est-ce que je ne frémis pas doucement entre tes doigts ? N’as-tu pas beaucoup plus de plaisir avec moi qu’avec le Doric d'AL° ?
Elle commençait à m’agacer.
- La ferme ! lui dis-je ! Ecris et tais-toi !
Mais elle s’entêta !
- Regarde : je saute, je cours, j’écris plus vite que tu ne trouves tes mots, je m’échappe, je te précède, je t’ôte les mots de la main….
C’en était trop ! J’en eus assez de son impertinence ! Cette garce refusait de se taire et prenait le pouvoir ! Je saisis le capuchon.
- Attends, cria-t-elle d’une voix de falsetto qui ferait grincer les dents de JVA lui-même, je n’ai pas fini, j’ai encore des choses à te dire…
Je lui mis la tête dans le capuchon. Elle continuait à couiner en sourdine.
- Est-ce que tu sais seulement comment il faut tenir une jolie Left oblique comme moi ? Non ? On ne me prend pas n’importe comment. Il faut …
Je pris le stylo, l’enfermait dans une boîte.
- … me tenir légèrement dans le sens inverse des aiguilles d’une montre si tu veux faire des jolis pleins et…
J’avais sous-estimé la puissance des aigus de son organe taillé vers la gauche. J’ouvris le tiroir de mon bureau, saisit un pot d’encre dont je dévissais l’ouverture, ressortit le stylo de la boîte, ôtai le capuchon.
- Ce n’est pas un comportement ! On ne traite pas une lady …. s’insurgea-t-elle, mais Elle hurla.
- Non, non, pitié, pas dans de la Montblanc Midnight blue ! Non !
- Pourquoi pas ? lui dis-je, c’est une excellente encre !
- C’est l’encre utilisée par le diable pour signer ses…
Je la plongeai illico dans le liquide sombre. Elle n’émit plus que des borborygmes et quelques bulles éclatèrent mollement à la surface. Lorsque je la ressortis après une bonne minute, sa mine était penaude. Je l’essuyai, lui fis promettre de se taire à l’avenir et de se contenter d’écrire, ce qu’elle faisait très bien et continue de très bien faire. Parfois, elle tente encore l’une ou l’autre tentative en prétendant me faire la leçon sur mon style, mais il me suffit de poser la main sur le flacon de Midnight blue et seul son léger et très agréable crissement sur le papier se fait entendre.
C’est ma meilleure plume, la plus agréable, et jamais je n’en eus de plus docile.
mais la je crois que vous m'avez dépassé 
Est-ce qu'il s'agit d'un modèle à cartouche d'un touch down???
... Qu'ai-je réussi à déchiffrer ? Rien 
