Le sommet de l'Art déco : le Wahl Doric des années 1930
Posté : 28 oct. 2009 20:49
C'est maintenant d'une pure beauté dont je vais vous dire quelques mots, un stylo qui fait encore tourner les têtes plusieurs dizaines d'années après sa création, le sommet de l'Art déco des années 30 : le Wahl-Eversharp Doric.
Jean-Michel F avait il y a un moment présenté ce bel ensemble de Doric. J'espère que Jean-Michel ou d'autres complèteront ou rectifieront les inexactitudes ou approximations écrites ici ou encore apporteront des éclairages pratiques, puisque je ne possède que ce stylo et ne suis pas un spécialiste. Ceci est un d'abord petit article destiné à faire découvrir le Doric, un amateur n'y trouvera rien qu'il ne sache déjà.
Richard Binder a écrit un remarquable et très complet petit article d'introduction sur le Doric, historique et technique, en anglais bien sûr, dont on trouvera le lien en fin de ce petit texte qui s'appuie sur ce qu'a écrit Richard.
C'est dans le courant de l'année 1931 qu'est apparu le premier Doric. Un stylo à douze facettes aux extrémités allant en s'effilant doucement pour se terminer en pyramide, à remplissage par levier, clip à roulette, bande de capuchon art déco. Le stylo était offert en celluloid de cinq couleurs aux noms révélateurs de l'esprit de l'époque, couleurs dont certaines ont très difficilement traversé l'épreuve du temps, le matériau se dégradant rapidement. Le Doric était disponible en plusieurs tailles et finitions, la plus prestigieuse de celles-ci étant le "Gold seal" signant une finition de qualité, des attributs élaborés et une garantie à vie, semblable par exemple au "White dot" de Sheaffer.
Quelques années plus tard, à partir de 1936, une seconde génération de Doric légèrement redessinée va apparaître. Un peu plus petits que les modèles précédents, de nouvelles couleurs, l'apparition à côté du modèle à levier d'un autre modèle à remplissage par plongeur, un clip plus simple et une bande métallique avec un nouveau dessin couvrant maintenant la lèvre du capuchon, un changement destiné à protéger le capuchon des fêlures, un point faible du stylo lorsque le capuchon était posé sur l'extrémité légèrement conique, à facettes de surcroît.
Plusieurs intéressantes innovations apparaissent sur le Doric. 1932 voit l'introduction de la plume ajustable. Sur le dessus de la plume coulisse une glissière à neuf crans qui va donner à la plume plus ou moins de flexibilité selon qu'elle est plus ou moins avancée sur la plume. Tirée au maximum vers la section, la plume est très flexible. Poussée au maximum vers l'avant de la plume, celle-ci devient une manifold, une plume très rigide. Cette plume a été fabriquée en plusieurs tailles jusqu'en 1939. Tous les Doric n'étaient pas livrés avec cette plume.
Wahl-Eversharp invente également un système (qui ne fonctionnera pas toujours très bien) destiné à empêcher le stylo de fuir : sous le feed est installé un ingénieux poussoir qui va obturer l'alimentation d'encre en s'enfonçant automatiquement quand on ferme le capuchon.
Enfin un joli système de fenêtre de visualisation de l'encre est installé.
Voilà pour les très grandes lignes de la courte histoire d'un stylo qui aura durablement marqué les esprits.
Le stylo dont nous allons parler est un stylo de seconde génération datant de la seconde moitié des années 30. C'est un modèle Gold seal (on peut voir ce sceau siglé d'un W au-dessus du clip), grande taille, remplissage par levier, plume ajustable, en celluloid de couleur Blue shell.
Le stylo n'est en fait pas très grand, les modèles de première génération l'étaient davantage. 13 cm fermé, 12 sans capuchon, respectivement 17 g et 12 g avec et sans capuchon, il est un peu plus petit que son cousin et descendant l'Omas Milord classique, ou pour donner une référence qui m'est chère, à peu près exactement de la même taille et du même diamètre qu'un Pelikan 100N sans son capuchon. C'est un stylo de taille très moyenne donc. Il est d'une fraîcheur étonnante, dans un état quasi-parfait, presque comme s'il sortait de sa boîte, il a même encore son autocollant d'origine sur le capuchon et seulement d'infimes traces d'usage.
La couleur est un superbe bleu un peu gris, faite de motifs géométriques aléatoires à fines rayures parallèles mêlant le bleu et le noir. Un bleu changeant sans cesse d'une profondeur et d'une subtilité merveilleuses. Un bleu vivant, mouvant, passant tour à tour de la lumière à l'obscurité des abysses, qui évoque la mer, bien sûr, mais dont les rayures parallèles m'évoquent aussi immédiatement les gravures des livres du XIXème siècle. Une couleur classique chez Wahl, d'une très grande beauté. Les attributs sont blancs, absolument parfaits, pas ternis le moins du monde, sans la moindre trace de piqûre. Je dis argent, en fait ce serait plutôt un or très très pâle, presque blanc. L'empreinte sur le capuchon est parfaite elle aussi, comme si le stylo n'avait presque pas été touché. Le clip est le nouveau modèle sans roulette.
La frise métallique ajourée couvre la lèvre du capuchon. Quand on retire celui-ci, on découvre la section en ébonite noire avec la fenêtre jaune d'encre juste au-dessus d'elle (lire à son sujet ce qu'en dit Richard). Les facettes viennent mourir en douceur juste au-dessus de cette fenêtre pour commencer à épouser la rondeur de la section. Sous la plume, on voit le poussoir de sécurité de l'encre, qui en rentrant donne une sensation très moelleuse lorsqu'on visse le capuchon. Les filets sont impeccables eux aussi.
La plume maintenant. C'est donc une plume ajustable, la glissière n'a pas le dessin du premier modèle qu'on voit par exemple sur les pages de Richard, c'est un dessin plus tardif. C'est un système délicieux à l'usage : on trouve exactement le toucher qu'on recherche, très souple, moelleux seulement, un peu plus dur ou très rigide. La plume s'adapte à la main. En fait, n'utilisant le stylo que depuis peu de temps, je ne sais pas encore si le système est réellement efficace du point de vue de la variation de flexibilité. La plume est une M très douce, un réel plaisir. Le débit d'encre est parfait.
Ce petit stylo en état presque neuf est également, en plus de la beauté de la couleur et de la matière d'une très grande délicatesse et d'une grande pureté de lignes et de proportions. Rien ne choque, rien ne dépare, l'équilibre du dessin est parfait, sans rien de trop, sans la moindre lourdeur. C'est une telle réussite qu'on comprend pourquoi il fait toujours aujourd'hui chavirer les coeurs. Le regarder, le prendre en mains, c'est presque avoir le souffle coupé devant un si bel objet, aussi lié à son temps. Et l'effet dure, dure... C'est un objet de rêve, on pense voyage, journaux de voyage, vieux avions à hélice, on se souvient alors des noms des couleurs de l'époque, Burma, Kashmir, Morocco, Cathay...
J'avais toujours rêvé ainsi de mon premier Doric : ce serait un jet black pour ne pas risquer les ennuis de couleur, Gold seal, plume ajustable absolument. C'était presque cela, mais il est venu en bleu.
Pour terminer, voici le lien vers l'article de Richard Binder.
Comme d'habitude, je poste d'abord le texte, les photos viendront plus tard.
Et comme à l'accoutumée encore, vos commentaires et additions sont les bienvenus.
Jimmy
Jean-Michel F avait il y a un moment présenté ce bel ensemble de Doric. J'espère que Jean-Michel ou d'autres complèteront ou rectifieront les inexactitudes ou approximations écrites ici ou encore apporteront des éclairages pratiques, puisque je ne possède que ce stylo et ne suis pas un spécialiste. Ceci est un d'abord petit article destiné à faire découvrir le Doric, un amateur n'y trouvera rien qu'il ne sache déjà.
Richard Binder a écrit un remarquable et très complet petit article d'introduction sur le Doric, historique et technique, en anglais bien sûr, dont on trouvera le lien en fin de ce petit texte qui s'appuie sur ce qu'a écrit Richard.
C'est dans le courant de l'année 1931 qu'est apparu le premier Doric. Un stylo à douze facettes aux extrémités allant en s'effilant doucement pour se terminer en pyramide, à remplissage par levier, clip à roulette, bande de capuchon art déco. Le stylo était offert en celluloid de cinq couleurs aux noms révélateurs de l'esprit de l'époque, couleurs dont certaines ont très difficilement traversé l'épreuve du temps, le matériau se dégradant rapidement. Le Doric était disponible en plusieurs tailles et finitions, la plus prestigieuse de celles-ci étant le "Gold seal" signant une finition de qualité, des attributs élaborés et une garantie à vie, semblable par exemple au "White dot" de Sheaffer.
Quelques années plus tard, à partir de 1936, une seconde génération de Doric légèrement redessinée va apparaître. Un peu plus petits que les modèles précédents, de nouvelles couleurs, l'apparition à côté du modèle à levier d'un autre modèle à remplissage par plongeur, un clip plus simple et une bande métallique avec un nouveau dessin couvrant maintenant la lèvre du capuchon, un changement destiné à protéger le capuchon des fêlures, un point faible du stylo lorsque le capuchon était posé sur l'extrémité légèrement conique, à facettes de surcroît.
Plusieurs intéressantes innovations apparaissent sur le Doric. 1932 voit l'introduction de la plume ajustable. Sur le dessus de la plume coulisse une glissière à neuf crans qui va donner à la plume plus ou moins de flexibilité selon qu'elle est plus ou moins avancée sur la plume. Tirée au maximum vers la section, la plume est très flexible. Poussée au maximum vers l'avant de la plume, celle-ci devient une manifold, une plume très rigide. Cette plume a été fabriquée en plusieurs tailles jusqu'en 1939. Tous les Doric n'étaient pas livrés avec cette plume.
Wahl-Eversharp invente également un système (qui ne fonctionnera pas toujours très bien) destiné à empêcher le stylo de fuir : sous le feed est installé un ingénieux poussoir qui va obturer l'alimentation d'encre en s'enfonçant automatiquement quand on ferme le capuchon.
Enfin un joli système de fenêtre de visualisation de l'encre est installé.
Voilà pour les très grandes lignes de la courte histoire d'un stylo qui aura durablement marqué les esprits.
Le stylo dont nous allons parler est un stylo de seconde génération datant de la seconde moitié des années 30. C'est un modèle Gold seal (on peut voir ce sceau siglé d'un W au-dessus du clip), grande taille, remplissage par levier, plume ajustable, en celluloid de couleur Blue shell.
Le stylo n'est en fait pas très grand, les modèles de première génération l'étaient davantage. 13 cm fermé, 12 sans capuchon, respectivement 17 g et 12 g avec et sans capuchon, il est un peu plus petit que son cousin et descendant l'Omas Milord classique, ou pour donner une référence qui m'est chère, à peu près exactement de la même taille et du même diamètre qu'un Pelikan 100N sans son capuchon. C'est un stylo de taille très moyenne donc. Il est d'une fraîcheur étonnante, dans un état quasi-parfait, presque comme s'il sortait de sa boîte, il a même encore son autocollant d'origine sur le capuchon et seulement d'infimes traces d'usage.
La couleur est un superbe bleu un peu gris, faite de motifs géométriques aléatoires à fines rayures parallèles mêlant le bleu et le noir. Un bleu changeant sans cesse d'une profondeur et d'une subtilité merveilleuses. Un bleu vivant, mouvant, passant tour à tour de la lumière à l'obscurité des abysses, qui évoque la mer, bien sûr, mais dont les rayures parallèles m'évoquent aussi immédiatement les gravures des livres du XIXème siècle. Une couleur classique chez Wahl, d'une très grande beauté. Les attributs sont blancs, absolument parfaits, pas ternis le moins du monde, sans la moindre trace de piqûre. Je dis argent, en fait ce serait plutôt un or très très pâle, presque blanc. L'empreinte sur le capuchon est parfaite elle aussi, comme si le stylo n'avait presque pas été touché. Le clip est le nouveau modèle sans roulette.
La frise métallique ajourée couvre la lèvre du capuchon. Quand on retire celui-ci, on découvre la section en ébonite noire avec la fenêtre jaune d'encre juste au-dessus d'elle (lire à son sujet ce qu'en dit Richard). Les facettes viennent mourir en douceur juste au-dessus de cette fenêtre pour commencer à épouser la rondeur de la section. Sous la plume, on voit le poussoir de sécurité de l'encre, qui en rentrant donne une sensation très moelleuse lorsqu'on visse le capuchon. Les filets sont impeccables eux aussi.
La plume maintenant. C'est donc une plume ajustable, la glissière n'a pas le dessin du premier modèle qu'on voit par exemple sur les pages de Richard, c'est un dessin plus tardif. C'est un système délicieux à l'usage : on trouve exactement le toucher qu'on recherche, très souple, moelleux seulement, un peu plus dur ou très rigide. La plume s'adapte à la main. En fait, n'utilisant le stylo que depuis peu de temps, je ne sais pas encore si le système est réellement efficace du point de vue de la variation de flexibilité. La plume est une M très douce, un réel plaisir. Le débit d'encre est parfait.
Ce petit stylo en état presque neuf est également, en plus de la beauté de la couleur et de la matière d'une très grande délicatesse et d'une grande pureté de lignes et de proportions. Rien ne choque, rien ne dépare, l'équilibre du dessin est parfait, sans rien de trop, sans la moindre lourdeur. C'est une telle réussite qu'on comprend pourquoi il fait toujours aujourd'hui chavirer les coeurs. Le regarder, le prendre en mains, c'est presque avoir le souffle coupé devant un si bel objet, aussi lié à son temps. Et l'effet dure, dure... C'est un objet de rêve, on pense voyage, journaux de voyage, vieux avions à hélice, on se souvient alors des noms des couleurs de l'époque, Burma, Kashmir, Morocco, Cathay...
J'avais toujours rêvé ainsi de mon premier Doric : ce serait un jet black pour ne pas risquer les ennuis de couleur, Gold seal, plume ajustable absolument. C'était presque cela, mais il est venu en bleu.
Pour terminer, voici le lien vers l'article de Richard Binder.
Comme d'habitude, je poste d'abord le texte, les photos viendront plus tard.
Et comme à l'accoutumée encore, vos commentaires et additions sont les bienvenus.
Jimmy