Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?
Posté : 04 juin 2011 22:22
Pourquoi se précipiter, fébrile, au coup de sonnette ?
Pourquoi ce sourire idiot affiché en ouvrant la porte, en voyant le livreur, le petit paquet dans la main droite, l’accusé de réception et le bic (quelle horreur !) dans la main gauche.
Pourquoi ce griffonnage en guise de signature sur l’accusé ?
Pourquoi cette précipitation à rentrer, à filer vers le salon en examinant l’adresse de l’expéditeur ?
Pourquoi cette satisfaction en constatant son identité ?
Pourquoi lancer la facture jointe au colis sur la table sans la même la regarder et sans se donner la peine de vérifier sur le relevé des dépenses de la carte de crédit si le montant correspond ?
Pourquoi cette hâte à arracher le tape qui scelle l’emballage et s’obstine stupidement à vouloir adhérer au carton ?
Pourquoi, après avoir rejeté le carton sur le tapis, en extraire une petite boîte rectangulaire et la soulever délicatement à hauteur des yeux, tel un officiant qui présente un reliquaire à la vénération des fidèles ?
Pourquoi cette émotion en psalmodiant un nom, généralement de consonance japonaise, inscrit sur le dessus de la boîte ?
Pourquoi l’émotion grandit-elle en ouvrant précautionneusement la dite boîte, en découvrant l’objet qui repose sur un lit de satin blanc ?
Pourquoi l’en extraire, le prendre délicatement entre les doigts, l’examiner sous toutes les coutures alors qu’il est si petit que l’œil en a vite fait le tour ?
Pourquoi le regard désapprobateur du chat interloqué, qui se dit « Oh non ! Encore un ! Il exagère ! » lorsqu’il voit l’objet, long et fuselé comme un corona ou court et trapu comme un robusto suivant les cas, se souvenant du temps jadis où vous fumiez des havanes, empestant son oxygène.
Pourquoi le tourner en tous les sens, pour jouir de son aspect lisse, rond, fini, parfait avec ses attributs dorés, son attache si élégante ?
Pourquoi dévisser avec autant de précautions ce capuchon qui dissimule une plume or 18 K ou 14 k suivant les cas, qui brille et n’attend qu’une chose, se mettre à votre service pour dévorer des kilomètres de papier en déversant autant d’encre ?
Pourquoi sortir la loupe pour l’examiner de plus près, lire encore une fois l’appellation nippone du fabricant délicatement gravée dans l’or comme si vous ne l’aviez jamais vue de votre vie alors que vous ne connaissez qu’elle ?
Pourquoi dévisser le corps de plume pour y enfûter délicatement le convertisseur qui a obligeamment été fourni avec l’objet ?
Pourquoi cette longue hésitation après avoir ouvert le tiroir contenant les encres ?
Pourquoi pester en contemplant ces dizaines de flacons aux nuances de bleu, de bleu noir, de noir, de brun, de rouge, etc… etc… ?
Pourquoi, finalement, choisir ce flacon ?
Pourquoi ces yeux brillent-ils en immergeant la plume dans l’encre jusqu’à ce qu’elle disparaisse entièrement ?
Pourquoi cette tête penchée de manière ridicule pour suivre d’un air attendri la lente montée de l’encre dans le convertisseur, la couleur choisie envahissant peu à peu le petit tube de plastique transparent sous l’action de la molette qu’on tourne précautionneusement ?
Pourquoi faire durer le plaisir en reconstituant le stylo, cruellement écartelé le temps de cette opération ?
Pourquoi, après avoir placé le capuchon sur le sommet, étudier longuement la position de l’objet en fonction de son poids dans la main ?
Pourquoi déposer le capuchon et étudier à nouveau la position de l’objet etc… ?
Pourquoi, finalement, se décider à repositionner le capuchon ?
Pourquoi hésiter avant de choisir un support ?
Bloc ? Cahier ? Carnet ? Le papier ? Lisse ? Granuleux ? Blanc ? Teinté ? Recyclé ? Fin ? Epais ?
Pourquoi enfin, tout ce cérémonial pour en arriver là : à cet ultime plaisir, poser délicatement la plume sur le papier choisi, appuyer légèrement, pas trop, et, avec un petit mouvement du poignet, partir sur la droite… ?
Mais… quoi écrire ? Et pourquoi ?
Pourquoi ne pas s’adresser à l’être aimé pour lui dire : « Mon amour, viens essayer ce stylo, tu verras comme il écrit bien gras, large, humide, mouillé » ?
Pourquoi renoncez-vous avec une grimace et vous dites-vous que c’est inutile de vous obstiner à essayer de la convertir aux plumes larges, elle qui n’aime que les plumes fines voir extrêmement fines ?
Pourquoi vous dites-vous aussi qu’elle en profitera pour vous reprocher d’en avoir voulu encore un « plus juteux », le énième, avec une plume toujours plus large, toujours plus mouillante, avec trois fentes et que s’il en existait avec quatre, cinq, six fentes, vous vous jetteriez dessus ?
Pourquoi dès lors, égoïstement et avec jouissance, tracez-vous seul, presque en tirant la langue et en souriant de plaisir, vos premières lettres avec votre nouvel instrument d’écriture et pourquoi cet air stupide, ébahi et ravi sur votre visage ?
Pourquoi ?
Et bien, c’est pour le savoir que je viens de commander un Platinum 3776 Music nib chez The Goulet Pen Company.
Et dès que la sonnette retentira, je bondirai de mon fauteuil, ouvrirai la porte, verrai le livreur, un petit paquet rectangulaire dans une main, le bic (quelle horreur) et l’accusé de réception dans l’autre… etc… etc…
Et dès ce moment, je saurais et plus jamais je ne me demanderai « pourquoi ? ».
Plus jamais pourquoi ?
Pourquoi plus jamais ?
Pourquoi ce sourire idiot affiché en ouvrant la porte, en voyant le livreur, le petit paquet dans la main droite, l’accusé de réception et le bic (quelle horreur !) dans la main gauche.
Pourquoi ce griffonnage en guise de signature sur l’accusé ?
Pourquoi cette précipitation à rentrer, à filer vers le salon en examinant l’adresse de l’expéditeur ?
Pourquoi cette satisfaction en constatant son identité ?
Pourquoi lancer la facture jointe au colis sur la table sans la même la regarder et sans se donner la peine de vérifier sur le relevé des dépenses de la carte de crédit si le montant correspond ?
Pourquoi cette hâte à arracher le tape qui scelle l’emballage et s’obstine stupidement à vouloir adhérer au carton ?
Pourquoi, après avoir rejeté le carton sur le tapis, en extraire une petite boîte rectangulaire et la soulever délicatement à hauteur des yeux, tel un officiant qui présente un reliquaire à la vénération des fidèles ?
Pourquoi cette émotion en psalmodiant un nom, généralement de consonance japonaise, inscrit sur le dessus de la boîte ?
Pourquoi l’émotion grandit-elle en ouvrant précautionneusement la dite boîte, en découvrant l’objet qui repose sur un lit de satin blanc ?
Pourquoi l’en extraire, le prendre délicatement entre les doigts, l’examiner sous toutes les coutures alors qu’il est si petit que l’œil en a vite fait le tour ?
Pourquoi le regard désapprobateur du chat interloqué, qui se dit « Oh non ! Encore un ! Il exagère ! » lorsqu’il voit l’objet, long et fuselé comme un corona ou court et trapu comme un robusto suivant les cas, se souvenant du temps jadis où vous fumiez des havanes, empestant son oxygène.
Pourquoi le tourner en tous les sens, pour jouir de son aspect lisse, rond, fini, parfait avec ses attributs dorés, son attache si élégante ?
Pourquoi dévisser avec autant de précautions ce capuchon qui dissimule une plume or 18 K ou 14 k suivant les cas, qui brille et n’attend qu’une chose, se mettre à votre service pour dévorer des kilomètres de papier en déversant autant d’encre ?
Pourquoi sortir la loupe pour l’examiner de plus près, lire encore une fois l’appellation nippone du fabricant délicatement gravée dans l’or comme si vous ne l’aviez jamais vue de votre vie alors que vous ne connaissez qu’elle ?
Pourquoi dévisser le corps de plume pour y enfûter délicatement le convertisseur qui a obligeamment été fourni avec l’objet ?
Pourquoi cette longue hésitation après avoir ouvert le tiroir contenant les encres ?
Pourquoi pester en contemplant ces dizaines de flacons aux nuances de bleu, de bleu noir, de noir, de brun, de rouge, etc… etc… ?
Pourquoi, finalement, choisir ce flacon ?
Pourquoi ces yeux brillent-ils en immergeant la plume dans l’encre jusqu’à ce qu’elle disparaisse entièrement ?
Pourquoi cette tête penchée de manière ridicule pour suivre d’un air attendri la lente montée de l’encre dans le convertisseur, la couleur choisie envahissant peu à peu le petit tube de plastique transparent sous l’action de la molette qu’on tourne précautionneusement ?
Pourquoi faire durer le plaisir en reconstituant le stylo, cruellement écartelé le temps de cette opération ?
Pourquoi, après avoir placé le capuchon sur le sommet, étudier longuement la position de l’objet en fonction de son poids dans la main ?
Pourquoi déposer le capuchon et étudier à nouveau la position de l’objet etc… ?
Pourquoi, finalement, se décider à repositionner le capuchon ?
Pourquoi hésiter avant de choisir un support ?
Bloc ? Cahier ? Carnet ? Le papier ? Lisse ? Granuleux ? Blanc ? Teinté ? Recyclé ? Fin ? Epais ?
Pourquoi enfin, tout ce cérémonial pour en arriver là : à cet ultime plaisir, poser délicatement la plume sur le papier choisi, appuyer légèrement, pas trop, et, avec un petit mouvement du poignet, partir sur la droite… ?
Mais… quoi écrire ? Et pourquoi ?
Pourquoi ne pas s’adresser à l’être aimé pour lui dire : « Mon amour, viens essayer ce stylo, tu verras comme il écrit bien gras, large, humide, mouillé » ?
Pourquoi renoncez-vous avec une grimace et vous dites-vous que c’est inutile de vous obstiner à essayer de la convertir aux plumes larges, elle qui n’aime que les plumes fines voir extrêmement fines ?
Pourquoi vous dites-vous aussi qu’elle en profitera pour vous reprocher d’en avoir voulu encore un « plus juteux », le énième, avec une plume toujours plus large, toujours plus mouillante, avec trois fentes et que s’il en existait avec quatre, cinq, six fentes, vous vous jetteriez dessus ?
Pourquoi dès lors, égoïstement et avec jouissance, tracez-vous seul, presque en tirant la langue et en souriant de plaisir, vos premières lettres avec votre nouvel instrument d’écriture et pourquoi cet air stupide, ébahi et ravi sur votre visage ?
Pourquoi ?
Et bien, c’est pour le savoir que je viens de commander un Platinum 3776 Music nib chez The Goulet Pen Company.
Et dès que la sonnette retentira, je bondirai de mon fauteuil, ouvrirai la porte, verrai le livreur, un petit paquet rectangulaire dans une main, le bic (quelle horreur) et l’accusé de réception dans l’autre… etc… etc…
Et dès ce moment, je saurais et plus jamais je ne me demanderai « pourquoi ? ».
Plus jamais pourquoi ?
Pourquoi plus jamais ?