Dans les années 1920-30, la guerre économique fait rage entre les fabricants de stylo. Dans une première phase, une véritable suprématie de Waterman qui sort ses 5* oblige ses concurrents à fourbir leurs armes. Shaeffer et Parker ont très vite pris le virage du celluloid, et créent leurs lignes propres.
Mabie Todd, embringué comme Waterman dans l'achat tardif d'un fabricant d'ébonite, lance vers 1925 une ligne de produits "Eternal", en ébonite pour amortir son achat.
Cette ligne ne contient a priori que 4 modèles : 44, 46, 48, et un modèle à chatelaîne, le 54.
La silhouette se caractérise par les deux bagues striées sur le capuchon, par opposition à la bague simple des 5* renouvelés à la même époque. L'Eternal vise clairement le même segment de marché.
Le 44 se positionne entre le 54 et le 55 de Waterman, le 46 vise le 56, et le 48 le 58.
Les stylos ne sont d'abord produits qu'en noir et "red mottled", avec un motif très beau. À partir de 1927, le celluloid permettra un plus grande éventail de coloris, sans atteindre la variété de ceux de Waterman.
Autre caractéristiques de ces stylos : des plumes plus fermes que la production précédente. Ce ne sont pas des nouilles mouillées. Si elles conservent un peu de flex, apanage de Mabie Todd en général, la plume de ces gros stylos peut être presqu'aussi rigide que celles des "Account" de Waterman.
Ces plumes auront d'ailleurs un grand succès, au point qu'elles seront prises telles quelles sur d'autres productions de la ligne "Swan".
J'utilise avec bonheur depuis plusieurs mois un 44 nourri à la Pelikan 4001 Royal Blue. J'ai aussi un 54. Tous deux sont dans la couleur red mottled.
Il y a quelques temps, j'ai trouvé sur la baie un 46 dans un très sale état et je me suis décidé à le retaper.
Avant :
Quelques photos provenant de l'annonce. Le vendeur ne faisait pas mystère de l'état du stylo, et n'a rien caché.
Le problème général est la crasse, mais le stylo a dû rester longtemps au soleil et la couleur a viré et s'est affadie. Certaines dorures semblent très usées. Enfin, il y a une fente sur la lèvre du capuchon.
En revanche, sur d'autres photos, la plume n°6 est bien là, le conduit est impressionnant.
Les travaux
- ouverture du stylo, délicatement car le sac est évidemment sec, il y a de l'encre séchée partout ;
- brossage intérieur et extérieur à sec pour enlever les particules d'encre (capuchon et corps) et trempette ( 1/2 heure) pour éliminer les traces superficielles de sulfures : passage dans la javel direct pour ne pas dégrader encore plus la surface en la passant à l'eau ; séchage sans rinçage debout sur un papier de ménage ;
- trempette dans l'eau additionnée d'ammoniac (1/2 heure) pour le conduit et la plume puis rinçage et séchage dans un papier de ménage ;
- brossage de l'intérieur du conduit avec un écouvillon légèrement mouillé, suivi de passage de tortillons de papier de ménage légèrement humide, dans la section, afin d'éliminer l'encre, et ce jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de trace sur les tortillons ;
- une fois tous les éléments secs, réassemblage de section, conduit et plume et pose d'un sac (taille 21). Attente 1/2h de séchage ;
- pendant ce temps, polissage à la pâte Puma (conçue pour le nettoyage des traces d'oxydation sur les couteaux) ; miracle, les dorures reprennent fière allure, à la seule exception de la lunule de la photo ci-dessus pour laquelle une fine couche d'or est partie, ce qui la ternit légèrement ; la fente du capuchon ne se voit qu'avec une lumière rasante ;
- le brillant n'étant pas complètement revenu sur l'ébonite, polissage avec une tête d'allumette de cire d'abeille. Mais l'huile d'olive semble plus efficace !
- réassemblage de l'ensemble et frottage final avec un chiffon à argenterie.
Photos prises sur la page correspondante de "Fountain of the World" de Lambrou.
En fait, ce que j'ai récupéré a bien meilleure allure que mon 44 qui aurait vraiment besoin d'être redoré.
Un aperçu de la concurrence de l'époque, avec le 149 que j'adore de la marque que je déteste (
) pour avoir une idée de la tailleDe haut en bas :
- Waterman 56 Modèle à bague sur le capuchon pour éviter la casse, apparu vers 1925/26 ;
- Waterman 7 red, basé sur un corps de 55, apparu vers 1925. Ce modèle a une bague sur le corps. La plume "red" est la middle-flex, c'est la plus courante ;
- Swan Eternal 46, sa plume s'avère aussi grosse que celle d'un 149 ou d'un Wat 58 ;
- Swan Eternal 44 ;
- Parker Duofold, ce modèle-ci est plutôt de 1926, a priori ;
- Montblanc 149 qui vient frimer et bousiller une superbe photo de groupe. On est en pleine uchronie !
Écriture
Un beau stylo, c'est bien ; c'est encore mieux quand il écrit ; c'est encore plus mieux quand il écrit de façon agréable ! C'est trop mieux quand il devient un véritable prolongement de la main.
Je n'ai refait aucun réglage ici. Un trempouillage dans la Cocktail, et roule mon grand. Encre Cocktail sur carnet Paperblanks.
Vous pouvez constater qu'il a une capacité au niveau de la plume conduit étonnante. On voit bien qu'il sont faits pour être ensemble. Il est clairement fait pour écrire beaucoup et vite. Et tout en ayant une capacité de flex, la plume peut être extrêmement rigide. L'écriture me paraît un peu sèche, même au début de l'essai.
Après ça, j'ai très légèrement tiré les ailes et le débit s'est amélioré. Lui aussi est bien en passe de rejoindre mes écrivains un jour ou l'autre !
