Le pelikan de mon Père
Posté : 05 avr. 2015 14:28
Le Pelikan de mon Père
http://www.fotosik.pl/pokaz_obrazek/fae ... 3d26b.html
Papa l’avait depuis toujours. Du moins je ne me rappelle point de l’arrivée du stylo à la maison. Il l’a eu en cadeau, Papa, de la part de ses amis Allemands. « Amis Allemands » cela sonne de façon bien bizarre quand on parle de quelqu’un qui, à l’âge de 16 ans, s’est retrouvé aux travaux forcés uniquement parce qu’il n’a pas voulu se déclarer Allemand, malgré notre nom de famille si joliment allemand. Évadé, il retourne naïvement à la maison où il se fait arrêter le lendemain au petit matin. Cette fois-ci il est déporté à Auschwitz, où il a, par bonheur, rejoint un commando de travail où le kapo contremaitre était plus humain que ne le prévoyaient à l’époque les normes des compatriotes tardifs de Johann Sebastian Bach.
Papa était autoritaire et j’avais pas mal peur de lui. Et en même temps il était tendre et affectueux et je l’adorais. Grand scientifique toujours passionnée par ses recherches de médicaments, il prenait sur son temps libre (qu’il n’avait pas, le labo attendait même pendant Noël) pour nous trouver des divertissements. Pas du tout sportif il parait pourtant à ski avec mon frère ainé Piotr et moi-même. En plus sa haute tension artérielle s’opposait aux séjours à la montagne.
Il n’a jamais voulu s’inscrire au parti communiste ce qui lui a valu des problèmes. Pas de représailles, non, ce serait trop dire. Mais des petites emmerdes quotidiennes qui savent tourner la vie en un cauchemar. Une lettre égarée ou deux, une demande perdue, une autorisation refusée. Une ou dix omissions dans l’avancement ou dans l’augmentation de salaire. Nomination en grade retardée à huit reprises.
Pendant l’année il travaillait, passait des journées entières dans son labo. Trois jours de fêtes c’était trop, il n’en pouvait pas, et le deuxième jour au soir il partait « juste vérifier chérie, si tout va bien au labo, car j’ai démarré une expérience qui tourne.. »
Il écrivait beaucoup. A la main d’abord bien sûr. Avec son Pelikan dont il était pas mal fier. Il faut voir que dans les années 60 de ma jeunesse la Pologne était un pays bien pauvre, pays de pénurie, où les oranges ne se trouvaient dans les commerces que 2 fois par an, et on pouvait s’en acheter à condition d’avoir eu la chance de tomber dessus et après avoir fait une queue des heures durant… . Une tablette de chocolat – c’était déjà la fête à la maison. Tante Ewa en apportait toujours deux pour l’anniversaire de Piotr et pour le mien. Deux tablettes de chocolat ! une pour chacun ! Mon autre rêve d’enfance – avoir une boite de thon pour moi seul! Les produits étrangers ne se trouvaient que dans des « Pewex » (commerces où on payait en dollars) et parfois dans des petites épiceries privées où de pauvres gens revendaient les biens reçus en cadeau, par la poste, de la part des amis et famille résidant à l’étranger.
On s’imagine bien que dans cet univers un Pelikan apparaissait telle une Mazda de sport au milieu d’un bidonville africain. Le Pelikan était porté toujours avec soin dans la poche interne de la veste de Papa. Sorti de la poche il écrivait des formules chimiques hiéroglyphiques, dessinant la 4 - hydroxy coumarine
et les dérivés de xanthine …
Par la suite Maman tapait les textes à la machine. Papa dictait. Le Pelikan servait plus tard à faire les premiers ajustements après impression.
Mais, il servait aussi a remplir des étiquettes sur divers flacons et au labo et à la maison…
http://www.fotosik.pl/pokaz_obrazek/cbd ... 127b8.html
Quant j’étais plus âgé on me permettait parfois d’utiliser le stylo. Sa plume posait des lignes épaisses, juteuses… Finalement je n’aimais pas écrire avec, le trait était trop gras pour moi et en plus j’avais toujours un léger sentiment de commettre un sacrilège… .
http://www.fotosik.pl/pokaz_obrazek/d67 ... 0ed9e.html
Il est là maintenant, sur mon bureau, à côté des autres, mais il a une place spéciale. Chaque fois que je le prends dans la main pour écrire je sens comme un délicat parfum de péché originel …
http://www.fotosik.pl/pokaz_obrazek/fae ... 3d26b.html
Papa l’avait depuis toujours. Du moins je ne me rappelle point de l’arrivée du stylo à la maison. Il l’a eu en cadeau, Papa, de la part de ses amis Allemands. « Amis Allemands » cela sonne de façon bien bizarre quand on parle de quelqu’un qui, à l’âge de 16 ans, s’est retrouvé aux travaux forcés uniquement parce qu’il n’a pas voulu se déclarer Allemand, malgré notre nom de famille si joliment allemand. Évadé, il retourne naïvement à la maison où il se fait arrêter le lendemain au petit matin. Cette fois-ci il est déporté à Auschwitz, où il a, par bonheur, rejoint un commando de travail où le kapo contremaitre était plus humain que ne le prévoyaient à l’époque les normes des compatriotes tardifs de Johann Sebastian Bach.
Papa était autoritaire et j’avais pas mal peur de lui. Et en même temps il était tendre et affectueux et je l’adorais. Grand scientifique toujours passionnée par ses recherches de médicaments, il prenait sur son temps libre (qu’il n’avait pas, le labo attendait même pendant Noël) pour nous trouver des divertissements. Pas du tout sportif il parait pourtant à ski avec mon frère ainé Piotr et moi-même. En plus sa haute tension artérielle s’opposait aux séjours à la montagne.
Il n’a jamais voulu s’inscrire au parti communiste ce qui lui a valu des problèmes. Pas de représailles, non, ce serait trop dire. Mais des petites emmerdes quotidiennes qui savent tourner la vie en un cauchemar. Une lettre égarée ou deux, une demande perdue, une autorisation refusée. Une ou dix omissions dans l’avancement ou dans l’augmentation de salaire. Nomination en grade retardée à huit reprises.
Pendant l’année il travaillait, passait des journées entières dans son labo. Trois jours de fêtes c’était trop, il n’en pouvait pas, et le deuxième jour au soir il partait « juste vérifier chérie, si tout va bien au labo, car j’ai démarré une expérience qui tourne.. »
Il écrivait beaucoup. A la main d’abord bien sûr. Avec son Pelikan dont il était pas mal fier. Il faut voir que dans les années 60 de ma jeunesse la Pologne était un pays bien pauvre, pays de pénurie, où les oranges ne se trouvaient dans les commerces que 2 fois par an, et on pouvait s’en acheter à condition d’avoir eu la chance de tomber dessus et après avoir fait une queue des heures durant… . Une tablette de chocolat – c’était déjà la fête à la maison. Tante Ewa en apportait toujours deux pour l’anniversaire de Piotr et pour le mien. Deux tablettes de chocolat ! une pour chacun ! Mon autre rêve d’enfance – avoir une boite de thon pour moi seul! Les produits étrangers ne se trouvaient que dans des « Pewex » (commerces où on payait en dollars) et parfois dans des petites épiceries privées où de pauvres gens revendaient les biens reçus en cadeau, par la poste, de la part des amis et famille résidant à l’étranger.
On s’imagine bien que dans cet univers un Pelikan apparaissait telle une Mazda de sport au milieu d’un bidonville africain. Le Pelikan était porté toujours avec soin dans la poche interne de la veste de Papa. Sorti de la poche il écrivait des formules chimiques hiéroglyphiques, dessinant la 4 - hydroxy coumarine
et les dérivés de xanthine …
Par la suite Maman tapait les textes à la machine. Papa dictait. Le Pelikan servait plus tard à faire les premiers ajustements après impression.
Mais, il servait aussi a remplir des étiquettes sur divers flacons et au labo et à la maison…
http://www.fotosik.pl/pokaz_obrazek/cbd ... 127b8.html
Quant j’étais plus âgé on me permettait parfois d’utiliser le stylo. Sa plume posait des lignes épaisses, juteuses… Finalement je n’aimais pas écrire avec, le trait était trop gras pour moi et en plus j’avais toujours un léger sentiment de commettre un sacrilège… .
http://www.fotosik.pl/pokaz_obrazek/d67 ... 0ed9e.html
Il est là maintenant, sur mon bureau, à côté des autres, mais il a une place spéciale. Chaque fois que je le prends dans la main pour écrire je sens comme un délicat parfum de péché originel …