Musings : dimanche matin, martin-pêcheur, cinéma

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Musings : dimanche matin, martin-pêcheur, cinéma

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Rêvasseries du dimanche matin. Allongé au bord de la rivière sous le soleil qui cogne déjà, un carnet et un polar de Lehane dans le sac. Je regarde longuement un oiseau aux reflets bleutés chasser au ras de l’eau. Je pense aux Moments d’écriture chers à Loïc.

J’écoutais en roulant un autre dimanche matin, au lendemain de sa mort, Dennis Hopper dans l’agréable émission de Rebecca Manzoni. Son côté fausse (?) ingénue et ses grands rires font merveille, l’invité se lâche facilement. A la fin, Hopper dit admirablement en anglais, dans un souffle, le poème « Tu seras un homme, mon fils » de Kipling. Kipling, empire britannique, stylos recouverts d’argent, voilà une bonne entrée en matière. Le lien entre l’histoire et les stylos. Overlays d’inspiration victorienne, overlays Art déco plus tard...

J’ai dit ailleurs la logique remontée dans le temps, l’intérêt croissant pour les stylos des origines. N’étant pas follement passionné par l’objet lui-même, j’essaie toujours de comprendre ce qui se passe, où ça va toucher quand un stylo me plaît. Je ne suis pas collectionneur, les plateaux de collectionneurs, 29 versions du même stylo, merci de ne pas le prendre comme un jugement, auraient plutôt tendance à m’angoisser vaguement. Chercher sans vraiment chercher deux ou trois variations d’un même stylo qui me touche, attendre qu’il s’en présente - ou pas - un nouveau, ça, par contre, c’est un petit plaisir bien agréable.

Il vient d’en arriver un de 1900-1905 environ. Un joli petit stylo très fin, très léger, fragile et délicat, le feed au-dessus de la plume, le capuchon qui s’emboîte, noir à bague dorées gravées. Rien de rare mais bien joli. En fait, je me suis rendu compte il y a longtemps, cela prolonge une discussion ébauchée l’autre jour avec quelqu’un qui se reconnaîtra, que l’intérêt grandissant pour ces stylos préhistoriques vient aussi d’ailleurs : d’abord du goût pour la belle et très fine littérature fantastique de la fin du XIXème et des débuts du XXème siècle, de > l’héritage de Poe >. Pour la littérature fantastique populaire qui paraissait en fascicules hebdomadaires, pour les ruelles de Londres du Harry Dickson de Jean Ray un peu plus tard. J’avais écrit à propos de mon merveilleux Crocker la petite émotion à la pensée de ce stylo contemporain d’Apollinaire, aussi. Je crois que pour moi, le premier plaisir du stylo à plume est là : remonter les fils, chercher des liens. Je retrouve cela dans tous les vieux vintage, à peu près quelle que soit leur époque de fabrication. Les Waterman ou le Doric Art déco des années 30, les Pelikan plus tardifs des années sombres, les mêmes Pelikan ou Montblanc de l’après-guerre, j’en passe. On pense à des films ou à des livres, on pense à l’époque. On pense à Nicholson dans Chinatown, quelqu’un, à propos du Wirth cité plus haut évoquait Griffith dans une conversation, on pense au Paris littéraire des années 30, aux lourdes années 40... C’est ce qui est intéressant avec ces bricoles de rien du tout : elles ouvrent, se relient à bien d’autres choses, elles deviennent vraiment intéressantes quand on se demande à quoi elles touchent, pourquoi elles touchent.

Il y a aussi, c’est là où je voulais en venir, un côté acteur dans l’utilisation d’un stylo à plume. On joue un rôle un moment. J’aime écrire avec les vieux stylos, il me faut m’en servir, je ne parviens pas à vraiment m’y intéresser autrement, à seulement les regarder et à les toucher, même si ce n’est pas désagréable. Ce goût pour l’écriture doit d’ailleurs être ce qui sauve de l’accumulation, en recevoir un ou deux par-ci par-là, un peu au hasard parfois mais bien choisis avec seulement une discrète ligne directrice, pas bien chers souvent, suffit au plaisir pour un long moment. Il me semble qu’on se glisse dans la peau d’un personnage différent à chaque fois. Je suis un peu le comte hongrois du Patient anglais quand je prends le Pelikan tortoise ou le Doric. Je pense aux écrivains ou photographes américains des années 30 avec le 94 en mains, le Witt de Terrence Malick m’accompagne si j’écris au Commando, j’entends la voix off qui dit la très belle lettre de La ligne rouge. Je suis dans la cabine d’un vapeur et je tiens un journal de voyage en me servant du Waterman très fin recouvert d’argent, en pensant aux vieux livres de bord aux magnifiques écritures déliées. Je suis un banal employé de bureau, problèmes de fins de mois et de père de famille avec celui-là...

Foin du fétichisme et du romantisme à trois sous : ces petits objets poussent d'abord à s'ouvrir ou à se réouvrir à d'autres choses.

C’est peut-être une des raisons qui pousse aujourd’hui à chercher à écrire au stylo à plume, alors que l’objet a cessé d’évoluer, n’a plus vraiment de sens, n’a plus qu’une existence marginale, n’est plus qu’un marché de niche de demi-luxe sur lequel règne l'Etoile blanche. Un peu de fantasme, la recherche de quelque chose d’un peu différent, de moins standardisé. Ces babioles de rien sont bien autre chose que de simples bouts de plastique et de métal.

Jimmy
Bluebird
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Re: Musings : dimanche matin, martin-pêcheur, cinéma

Message par Bluebird »

... oui , bien sûr , il y a les formes , les couleurs , les primitifs , les canoniques , les obscurs , les réjouissants , mais surtout , ce qui me touche dans ces instruments , plus légers et d’autant plus sensibles qu’ils sont plus anciens , c’est le geste d’écriture qu’ils délient .


Il y a quelques gestes ainsi , celui du soin , celui de l’art , celui de l’écriture , qui nous rendent vraiment humains ...
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Re: Musings : dimanche matin, martin-pêcheur, cinéma

Message par jpeg »

La revoilà, la revoilà ! © (à peu près !) Blade runner !

Jimmy
Loositen
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Re: Musings : dimanche matin, martin-pêcheur, cinéma

Message par Loositen »

Comment comment? Blade runner, D Lehane... Rebecca Manzoni et son rire enthousiaste? l'atmosphère bucolique du bord de l'eau? Mais voilà tout ce que j'aime!
Alors si en plus, on discute doucement souvenirs anciens, histoire et écriture liés à ces anciens instruments d'écriture. Oué!
Ah le bonheur des petits moments tout simples!! c'est écrit sans ironie...
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