Pelikan a très tôt produit à côté des classiques modèles 100 et 100N (un article est à venir prochainement sur les 100N) un stylo économique avec une finition plus sommaire, le Rappen. Ce Rappen dont la production s'est étalée de 1932 à 1936 pour le marché intérieur allemand, production prolongée pour certains marchés export, n'était pas, sauf pour les derniers modèles, un stylo à piston, système dont Pelikan avait inauguré la fabrication, mais un "bulb-filler", un stylo qui se remplissait un peu comme un compte-gouttes en appuyant sur une poire en caoutchouc à l'extrémité du stylo. L'Ibis est introduit en 1936 pour remplacer le Rappen. La principale innovation est le montage du piston en standard, vraisemblablement pour des raisons de modernité d'image, de qualité et d'économies de fabrication : quand on compare le corps du 100 à celui de l'Ibis, les cotes extérieures, d'abord le diamètre, sont très proches. je n'ai pas (encore !) démonté le stylo, mais on peut penser, ce n'est qu'une hypothèse, que les cotes intérieures sont identiques entre les deux stylos et que les pistons sont semblables. L'Ibis a été fabriqué avec une interruption dûe à la guerre jusqu'en 1954, à l'exception encore de quelques modèles destinés à l'export dont on trouve trace jusqu'en 1956.
L'Ibis est un tout petit stylo très léger, le modèle d'après-guerre étant plus long de 5 mm (11,5 cm contre 12 cm fermé), le diamètre du corps étant d'à peine 11 mm. Vu la date de production, l'Ibis a été comme on peut s'y attendre d'abord fabriqué en ébonite et plus tard en celluloid. Contrairement aux grands frères plus chers, le stylo n'est pas recouvert d'une "binde", le petit tube généralement de couleur (il en est également de noirs) qui entoure le corps des Pelikan. Le stylo possède une fenêtre d'encre.
Par rapport au 100 à l'extrémité "tronçonnée" net, l'Ibis est parfaitement cylindrique, les extrémités, capuchon et bouton de piston étant en forme d'obus. Cela donne au stylo une forme très pure et un charme indéniable en lui apportant beaucoup de légèreté. Le capuchon est plus court, moins trapu et plus effilé que celui du 100. L'agrafe conserve la même forme tout en étant plus courte, il n'y a enfin qu'une seule bague dorée à la base. L'empreinte au sommet dit "Gunther Wagner IBIS", répété deux fois. La plume est joliment estampée "IBIS 585 14 Karat".
L'Ibis est ici photographié en-dessous d'un 100 de 1933.
Le stylo a été proposé en noir et dans trois couleurs et motifs marbrés spécifiques au modèle, corps et capuchon rouge, vert, gris, plus un modèle vert foncé, auxquels il faut ajouter un modèle tardif (1956) conducteur d'électricité pour l'industrie, dit Ibis 130E, marqué "Elektrographik" sur le capuchon et livré avec une plume dure.
C'est là où Sherlock la ramène. Il s'est tout de suite souvenu dans la boutique où le stylo est apparu, abracadabra, comme par magie, pouf pouf, encore un numéro bien réglé du magicien et de son assistante, qu'il n'avait jamais vu d'Ibis recouvert d'une binde verte comme celle archi-classique des 100 et 100N. Furieux grattage de tête, furetages, recherches, questions à droite et à gauche avant que l'illumination n'arrive (c't'un malin, le Sherlock) : mesurant un 100, il remarque que les cotes de la binde (ben oui, ça m'énerve de dire "la binde", mais le mot est féminin en allemand) sont identiques à celles du 100. Et que donc vraisemblablement, l'Ibis n'est pas dans sont état d'origine mais a été recouvert d'un cylindre de 100. Hypothèse confirmée par un gourou Pelikan : t'es le meilleur, Sherlock ! Opération remarquablement réalisée par ailleurs, l'habillage venant exactement à fleur du bouton de piston à l'arrière. Quant à dire quand cet habillage a été réalisé, impossible : cela a pu être fait il y a soixante-dix ans au fond d'un vieil atelier comme tout récemment. Reste qu'esthétiquement, le résultat est très réussi.
Chercher à recouper les divers éléments, matériaux, détails, pour dater les vieux Pelikan est un petit plaisir innocent dont on ne se lasse pas.
Ce stylo est un modèle court. Le stylo est en parfait état et a été joliment poli et lustré. L'empreinte est excellente. La fenêtre d'encre est d'une limpidité et d'une clarté parfaite. La légèreté et la délicatesse du stylo en font un petit bonheur, un objet délicieux et délicat en main, dont je suis immédiatement tombé raide amoureux. Mais le plus beau est à venir, comme souvent avec les Pelikan : sa plume. Cette jolie plume Ibis est une oblique fine avec tout son iridium, peut-être la plus légère, la plus aérienne, une des plus délicates et des plus précises que j'utilise. Dire encore et encore la beauté et la variété des plumes anciennes Pelikan et tout particulièrement des merveilleuses obliques.
J'aime à la folie ce minuscule stylo sans prétention. A chaque fois où je le prends et où j'écris avec lui, il me rappelle le beau moment qu'a été cette journée. On trouve très facilement des Ibis dont le prix en bon état tourne aux alentours de 100 euros. Je ne vous dis pas combien mon coup de coeur me l'a fait payer, vous vous foutriez - avec raison - de ma gueule. On s'en fout, mon chéri, c'est rien qu'un tas d'envieux(ses), laisse-les dire, je t'aime !
Quelques liens pour avoir un peu plus d'infos, copiés-collés d'un autre article sur les Pelikan. La plupart de ces courtes informations viennent de l'indispensable livre de Dittmer et Lehmann, malheureusement épuisé mais qu'on trouve relativement facilement, "Pelikan Schreibgeräte 1929-2004", bilingue allemand-anglais, avec une très riche iconographie.
Le site de Rick Propas, the PENguin. Une très bonne introduction aux Pelikan d'un des grands connaisseurs doublé d'un grand vendeur, à lire absolument.
Celui de Martin Lehmann. Tout sur ce site pour identifier rapidement les modèles, si on ne cherche pas à trop entrer dans les détails.
Un article sur la restauration des pistons par Tom Westerich, encore un gourou. D’autres choses intéressantes sur le site.
Quelques notes sur la réparation encore. Un des meilleurs et des plus sérieux sites pour les stylos allemands, avec plusieurs vendeurs excellents.
Le site enfin de Herr Rüttinger avec pas mal d'informations utiles.
J'ai été bavard comme à l'accoutumée. Commentaires, apports, rectifications évidemment bienvenus.
Jimmy
